• Vive la politique sociale de réhabilitation de ma tour. C'est au doux son du marteau-piqueur que ma cafetière glousse en tressautant sur la table. Le brise-béton vous tonifie le cerveau aux aurores, un, deux, trois, et un, deux, trois, et les enfants hurlent parce qu'ils sont incapables d'apprécier la symphonie subtile des pilonneuses et des perforateurs. Les chiens ne sont guère plus mélomanes, ils n'entendent rien aux accents de la découpeuse que rythment les coups de masses et les vibratos des foreuses.

    Ça va durer six mois au moins, logement après logement. Une nouvelle intimité entre voisins.
    - Alors, ça casse ? - Super !
    Et dedans ce sera rigolo : on va jouer tour à tour à "mets tout dans une pièce et respire la poussière". On sera reconnaissables avec nos masques à oxygène, c'est chouette, ça vous solidarise même les plus timorés.

    C'est merveilleux parce qu'ensuite la tour sera comme neuve, les loyers augmenteront enfin, on se sentira riches. Il faudra bien en profiter : dans quatre ans elle sera rasée ainsi que les bâtiments autour, et la parcelle revendue à des promoteurs immobiliers. Le quartier a pris du galon. Heureusement que la direction du logement social a pris cette sage décision après 37 ans d'inertie, dis donc. Mais dans quatre ans, c'est la présidentielle. Et ça ne votait pas beaucoup par ici lors des municipales, d'habitude.

    - Si tu veux me téléphoner, préviens en envoyant un mail, je décrocherai plutôt dehors dans la tempête parce que là, les rafales de vent s'acharnent sur les volets que j'ai dû laisser fermés pour ne pas exploser les vitres.
    - Et puis arrête de te plaindre. Pour se faire pardonner, ils vous réservent des offres de logements saisis revendus à un prix symbolique.

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