• Poèmes, vos clapets !

    Pétrie de politesse et victime de mon empathie, sournoise que je suis je refuse régulièrement des invitations à dîner en compagnie de la progéniture exceptionnelle d'amis et néanmoins parents dont la fureur de vivre et le bon goût légendaires cèdent comme fière tour de garde sous les assauts de leurs trébuchets adorés, usant de divers prétextes destinés à leur cacher hypocritement la véritable nature de ces ajournements successifs. Pierre Jourde en fait état dans le magnifique L'heure et l'ombre, dont je conseille vivement la lecture aux amoureux de littérature.
    J'en voudrais presque à ces splendides écrivains qui, tout en m'insufflant le bonheur de les lire, flattent ma paresse, décrivant à ma place ces moments délicieux de la vie en société.

    "J'avais à peine attaqué l'ouverture que ma voix était couverte par un bruit de déflagrations. Le poème brandissait une mitraillette futuriste, qui émettait des lueurs fluorescentes. Inébranlables, mes hôtes ne se départissaient pas d'un sourire accroché à perpétuité sur leurs visages. Mon effet était manqué. J'ai poursuivi, héroïquement, sur fond de combats de rue à Beyrouth.

    Ni Jean-Luc ni ma collègue ne m'écoutaient vraiment. De temps à autre, Jean-Luc était pris d'une sorte de réflexe qui devait être assez handicapant à la longue. Son regard continuait à se diriger vers moi, sa main servait le vin de pêche, mais sa bouche articulait, toujours sur le même ton, deux syllabes. Au début, j'ai cru qu'il s'agissait d'un tic que le malheureux ne parvenait pas à contrôler. Puis j'ai compris qu'il s'agissait du prénom de son fils. Geoffrey. Il disait Geoffrey à des moments a priori aléatoires, toujours de la même manière : la dernière syllabe étirée jusqu'à l'épuisement, longtemps nasalisée dans une modulation plaintive, avec une trace de vibrato, mais à peine.
    Ce n'est qu'au bout de trois ou quatre occurrences que m'est apparue la signification de cette émission sonore. Jean-Luc exerçait par elle l'autorité paternelle. Du moins tels étaient, dans sa bouche, les vestiges pétrifiés de l'autorité, dont Jean-Luc devait vaguement savoir qu'elle avait existé, il y a bien longtemps, dans un autre monde. (...) Il meuglait, pathétique bovin émasculé, la nostalgie d'un âge qu'il n'avait pas connu, où les parents étaient des parents et les enfants des enfants.

    Le poème ne tenait pas longtemps une activité. Il a allumé la télévision, joué quelque temps à un jeu vidéo (...). Ses parents ne me regardaient même plus. Hypnotisés, ils fixaient les exploits virtuels de l'Alcide que, visiblement, ils s'étonnaient encore d'avoir réussi à engendrer."


    Pierre Jourde, L'heure et l'ombre - L'Esprit des péninsules, 2006.


    PS à l'usage de ma lectrice préférée : Baz est par nature exclu de cet ensemble.


  • Commentaires

    1
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    Samedi 7 Février 2009 à 14:04
    Ah ouais putain,
    j'ai eu chaud un moment! :o) Bon,tu ramène ta fraise et tes moonboots?
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    2
    Samedi 7 Février 2009 à 14:56
    Hihihi
    Dès que les injections de corticoïdes auront rendu à mes (sublimes) épaules leur splendeur et que je pourrai utiliser le bras gauche :o)
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