• Interdiction des minarets en Suisse : cause ou conséquence de l'intégrisme ?

    Ce n'est pas un scoop, la votation suisse sur l'interdiction des minarets n'a pas manqué de passionner. Et pas seulement la "blogosphère". Les Identitaires et avec eux les marges et les franges de l'extrême-droite française, sans suprise, s'en sont donné à cœur-joie. Sablant le champagne et priant pour qu'un tel débat sanctionné par une loi (à défaut d'article constitutionnel, comme c'est le cas chez les Helvètes) contamine (sans rêts, ah ah) la douce France. France qui, selon les sondages Ifop-BVA - et contrairement aux clics de votes sur internet -, n'envisage pas vraiment de légiférer sur la question, tout occupée qu'elle est à définir son identité  nationale entre "traditions" et "modernité", entendre "France moisie" versus "multiculturalisme".

    Il y aurait certainement une troisième voie, comme on dit, à trouver, mais ce n'est certainement pas Edwy Plenel (journaliste et créateur du site Mediapart) quand il coupe délibérément la parole à Elisabeth Lévy (rédactrice en chef du site Causeur) sur Public Sénat et qu'il use envers elle d'arguments d'autorité dignes des pires forums du Web, qui y contribuera. Quand bien même il initie une pétition signée par, selon ses termes, quelque dix mille savants et amoureux de la connaissance (le monde de l'intelligence serait tout petit, et les imbéciles tous les autres), destinée à interdire le débat sur une question somme toute légitime : qu'est-ce que la France ? Que peut-elle être et devenir ?

    Proposer de clore un débat, c'est tout de même, en démocratie, quelque peu contradictoire. Dont acte pour Edwy Plenel.

    Mais revenons-en à la question démocratique, donc à la votation populaire selon les termes de la démocratie en Suisse. Et à son résultat : les Suisses ne veulent plus que soient érigés des minarets dans leurs paysages d'Heidi, de vaches à cloches et de montres intransigeantes.

    Après que se soit indignée la classe politique française de gauche, en appelant à la discrimination, sans surprise non plus, le prédicateur Al-Qaradawi (haut membre du Conseil européen de la fatwa et supra-intervenant en terme de conformité à la charia, loi islamique), l'Iran, la Libye, l'Egypte se sont offusqués et de nationale voire de voisinage, la question, apparemment cruciale, a gagné les cercles actifs des relations internationales.

    "Mon minaret m'appartient !", semblent nous dire ces personnalités concernées tant par les droits islamiques que par les Droits de l'homme, oubliant que ces derniers concernent les individus et leurs libertés fondamentales (vivre, s'exprimer) et non pas de quelconques groupes religieux s'estimant lésés par un choix national, quand bien même il fut impulsé par un parti populiste. Oubliant également que, comme l'ont rappelé quelques spécialistes, les minarets n'ont jamais été affaire sacrée, qu'elle fût symbolique ou transsubstancielle. Absents aux premiers temps de l'islam, ils ont d'ailleurs largement intégré les paysages dans lesquels ils ifurent ensuite, éventuellement, construits.

    En France, Caroline Fourest, journaliste et essayiste, rédactrice en chef de la revue Prochoix, qui avait manifesté son désaccord avec les termes de cette votation, a réagi quelques jours plus tard dans les colonnes du Monde, exprimant sa crainte de voir les mouvances de l'islam intégriste s'approprier cette décision pour se draper dans leurs oripeaux victimaires coutumiers et, jouant sur cette fibre sensible, recruter de manière décuplée.

    Il est probable que la Suisse ait renvoyé à Mouhammar Kadhafi un chien de sa chienne (ou une horloge de sa fabrication). Cf. les récents problèmes avec le fils Khadafi, ainsi que les otages suisses chez le Guide lybien et les imprécations de ce dernier. Mais s'est-on demandé si la majorité des votants n'a tout simplement pris conscience que, sur ce petit territoire aussi apprécié pour le calme de son lac Léman que méprisé pour sa neutralité hors finances, se fourbissent déjà, et depuis longtemps, les armes du djihad armé, certes, mais également celles de "l'invitation à la conversion" que prône, dans un premier temps, la confrérie des Frères musulmans ?

    Courant complexe, multiple et rassembleur né en Egypte dans les années vingt par la volonté d'Hassan al-Bana, le mouvement des Frères musulmans joue sur le Nil la carte de la violence ou de la compromission démocratique selon les circonstances. L'une de ses particularités est son adaptabilité extrême aux circonstances, précisément. Et la densité de son réseau, dont les petits-fils du fondateur, Tariq et Hani Ramadan, représentent deux courants idéologiques assez peu éloignés l'un de l'autre. Le premier Centre islamique européen, créé par Hani Ramadan, est basé à Genève. Son site internet est accessible à tous et son contenu est éloquent.

    L'activisme de ces descendants et zélateurs d'Al-Bana a été décrypté, en tout cas celui de Tariq Ramadan, par Caroline Fourest, à qui l'ont doit cet immense travail d'analyse. Ce travail d'analyse que ses détracteurs qualifient d'"ignorant" car selon eux, il ne se réfère en rien, il est vrai, à la phraséologie des "savants" (entendre les oulémas) auxquels s'adresse le prédicateur. Analyse qui pourtant pose les termes d'une problématique véritable, et non d'une exégèse. Cette exégése dont les oulémas dispensent leurs adeptes de la pratiquer.

    Ce dialogue-en-lecture de Caroline Fourest (Tariq Ramadan a longtemps refusé de débatttre avec elle sur un plateau de télévision) a le mérite de pointer les ruses rhétoriques du prédicateur qui s'affuble de titres universitaires qu'il n'a pas, et d'en expliciter la clé principale, la taqyia. Notion qui dans l'islam, face à des mécréants, consiste à pratiquer un double langage destiné à s'en protéger, voire à les séduire dans l'espoir qu'ils se convertissent.

    Or si Tariq Ramadan est partisan d'une certaine forme de fondamentalisme, il déplore lui aussi l'absence de minarets en Suisse, que les salafis (ceux qui prônent le retour à un islam originel pur) eux, considèrent en revanche comme une abomination puisqu'ils n'existaient pas aux temps de la vie du prophète (non, je ne souhaite pas l'écrire avec une capitale initiale).

    Parce que dans sa vision "réformiste" de l'islam, largement critiquée par les "savants" auxquels il aime à faire appel, M. Ramadan n'oublie pas, malgré tout, que ce territoire non islamique que constituent les démocraties européennes demeure celui du "témoignage". Et que pour témoigner, eh bien, l'on se présente en habits neufs.


  • Commentaires

    1
    Arthur Mage
    Mercredi 9 Décembre 2009 à 14:53
    mines à raies suisses
    Ce vote Suisse relève quoi qu'il en soit d'une sorte de "takkia", "takkia" qui, ainsi que vous l'expliquez, consiste à pratiquer un double langage face à des mécréants. En effet, s'adresser aux incultes de la démocratie que sont les extrémistes de tous poils et en l'occurrence, les islamistes, en vantant cette même démocratie qui est fondée sur l'égalité de tous devant la loi et en même temps, adopter un interdit qui ne s'applique qu'à une partie de la population, en l'occurrence les musulmans qui sont donc les seuls à ne plus avoir le droit de bâtir des tours à leurs édifices religieux, tandis que les bouddhistes ou les catholiques conservent le droit de le faire, c'est un double langage. Cette "takkia" de la part d'une démocratie fragilise toutes les démocraties du Monde. Vous avez certes tempéré votre défense du vote Suisse, voire cessé de le défendre, chère Cosmic, mais j'aimerais désormais vous voir vous engager avec davantage de justesse.
    2
    Mercredi 9 Décembre 2009 à 18:53
    Gare aux concepts
    Arthur. Si l'interdiction des minarets peut être interprétée comme le signe d'un coup d'arrêt à l'attention des islamistes révolutionnaires (plus ou moins djihadistes), ne comparez pas ces derniers avec de simples pratiquants d'une quelconque religion. Je n'ai pas tempéré ma "défense" de la votation suisse, Arthur. Je prends acte, je cherche à comprendre, et il m'apparaît que le déni de démocratie associé à cette décision est caduc ;o) Et ce d'autant qu'un tel interdit ne concerne pas la France.
    3
    Admirateur
    Samedi 12 Décembre 2009 à 14:41
    EXACTEMENT CELA
    Chère Cosmic Dancer, votre analyse est tout simplement parfaite. Douze mosquées adeptes d’un islam radical et huit imams qui prêchent la haine… C’est la conclusion du rapport confidentiel du Conseil fédéral sur le prêche des imams en Suisse que la presse alémanique a révélé jeudi. Ce n’est pas beaucoup comparé aux 200 mosquées que compte la Suisse, mais c’est déjà suffisamment inquiétant pour que les questions se bousculent. Qui sont ces 8 imams extrémistes? ! «Le rapport est classé confidentiel et nous ne communiquerons aucun détail supplémentaire», coupe Sebastian Hüber, porte-parole du Département fédéral de la défense dont les services secrets ont rédigé le rapport commandé par le Conseil fédéral. Difficile donc de retrouver ces huit imams, ce d’autant plus que certains d’entre eux ne seraient plus en fonction. C’est le portrait type d’un imam intégriste qui est donc plus intéressant. Il s’agit généralement de ressortissants de pays arabes: dans le rapport, c’était le cas de 7 imams sur les 8. La plupart voyagent énormément et ne restent prêcher en Suisse que quelques mois. Et ces fondamentalistes savent ce qu’ils font: «Ce sont des adeptes du double discours», explique Ulrich Rudolph, professeur d’islamologie à l’Université de Zurich et coauteur d’une étude nationale sur l’islam en Suisse. «J’ai rencontré parfois des imams extrémistes, raconte-t-il. Et, sur le moment, ils avaient réussi à me convaincre qu’ils étaient modérés…» Que prêchent-ils? Le rapport donne peu d’exemples. Il parle notamment d’un imam d’origine libyenne qui aurait comparé les Suisses à des singes et à des porcs. Il aurait aussi appelé à l’extermination des infidèles. «Il s’agit rarement d’appel à la violence à proprement parler», explique pourtant le professeur zurichois. Pour ce spécialiste, les imams extrémistes encouragent surtout à une non-négociation avec l’Occident, à un refus total des valeurs occidentales. «Au fond, c’est de l’arrogance, continue-t-il. Celle de placer les valeurs de la charia au-dessus de celle de l’Occident. Et puis ils sont très stricts dans l’application de l’islam. Certains vont jusqu’à décrire les sous-vêtements qu’un bon musulman devrait porter.»
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